"Le Dernier des ZÂ" II (section 5 )
- « " Être … Ici et maintenant … Savoir … Ici et maintenant … Félicité … ! "
" Être … Ici et maintenant … Savoir … Ici et maintenant … Félicité … ! "
" Être … Ici et maintenant … le Savoir … Ici et maintenant … l'Éternelle Félicité! "
Voilà ce que M° entendait dans la rengaine intérieure … qu'il scandait lentement
Sat Chit Ananda … Sat Chit Ananda … Sat Chit Ananda … Sat Chit Ananda
Et qui rythmait les pas lents et comptés …. qu'il posait l'un derrière l'autre
Sur le fin ruban de sable jaune … que déroulait son petit déambulatoire
M° tourne lentement … dans sa tête pareillement … le mantra
... Sat ... Chit ... Ananda … Sat ... Chit ... Ananda … Sat ...
Il ne sait plus au juste … d'où lui venait ce mantra
Mais dans chaque formule … qu'il projetait
Inéluctablement … il s'entendait dire
" Essence … Ici et maintenant
Sagesse … Ici et maintenant
Félicité … Ici et maintenant ... "
M° tourne lentement ... il n'a que ces mots en tête
... Chit ... Ananda … Sat ... Chit ... Ananda ...
La nature même ... qui accueille ses pas
Semble se dissoudre dans ces mots
Il doit tourner ... depuis peut-être quinze ou vingt bonnes minutes ... maintenant
Que le temps peu sembler court ... quand il ressemble à quelque chose de bon
M° ne sourit pas ... il tourne tout simplement ... sans même faire un bruit
Je ne suis pas si loin de lui ... je ne bouge pas et il tourne ... il tourne
Tel un pénitent transfiguré ... semblable à un grand fauve parqué
Ou à un psychotique ... profond en lui ... il tournait en rond
Pas à pas ... et tellement près que j'aurais pu le toucher
Mais pour rien au monde ... je n'eus oser un geste »
Voilà combien de temps que A-Noos écoute et consigne ... ces pitreries?
Et ... "A-C" redirait comme ça … par le menu ... et des nuits durant
Chacun des moindres petits détails … composant le rituel de M°
Tous ces petits riens qui vous remplissent rapide ... une vie
Une fois encore ... "A-C" jure à Noos qu'il ne connait pas M°
Qu'il ne l'a même jamais approché de près … jamais côtoyé
Mais que ce jour … où il avait repris le chemin des crêtes
Passant outre ... le souvenir encore vivace de sa panique
Encore trop intrigué ... par le mystère de la main verte
Qui depuis ... encombrait et réduisait toutes ses nuits
Il avait fini par voir M°! … comme vous me voyez!
Oui ... en pleine lumière … et en chair et en os
Là pareillement … comme vous me voyez-là
Au point qu'il eut pu ce jour là ... le toucher
En tous cas ... c'est ce qu'il m'avait confié
Du dos de la main droite … une légère pression sur l'épaule
Une accolade peut-être?! … mais non rien … rien de rien!
Car il était écrit qu'ils n'échangeraient ... aucun contact
Aussi ... il en était ainsi ... il ne l'avait jamais touché
"A-C" n'a d'ailleurs jamais caché ... sa terrible déception
Rencontrer M° resterait pour lui ... comme un songe creux
Avec un cœur meurtri … il confessera parfois à Albert Noos
L'amertume de ses regrets ... et comme un manque ... à jamais
Cependant ... il prend grand soin d'insister sur un fait notoire
A savoir que pour lui … ne pas pouvoir rencontrer quelqu'un
Ne signifie pas du tout… ne pas pouvoir connaitre quelqu'un
Et encore moins … ne pas pouvoir s'employer à le connaître
"A-C" répète encore et encore … rencontrer n'est pas savoir
Toutes les vedettes … les stars … et autres pointures politiques … vous ne les rencontrez jamais
Ou alors de trop loin … ou lors d'une occasion unique … un 14 juillet … il y a si longtemps
Et pourtant … vous les connaissez mieux que vos parents … et que vos propres enfants
"A-C" semble vouloir insister … alors que Noos à parfaitement saisi
Rencontrer n'est pas connaître … et connaître n'est pas toucher du doigt
Sans jamais hausser le ton il répète … calmement il répète qu'il connait M°
Et qu'on est pas contraint d'embrasser les gens … pour prétendre les connaître
Évidement … il se répète … il se répète … il se répète … car il se doit d'être cru
- « Souvenez-vous Albert! … j'étais si près de lui ce jour là
Vous savez un peu les choses … quand vous êtes si proche
Je sais qu'il portait des vêtements sombres … larges et légers
Et que cet aspect ordinaire … ainsi que la sécheresse de sa mise
N'avaient rien de misérable … et rien non plus qui puisse effrayer
J'étais si près … vous saisissez Albert … vous imaginez
Que de là … je jouissais à souhait … du profil droit de M°
Et son visage paraissait tellement calme … presque minéral
La peau de son cou était très épaisse … elle paraissait sombre
Ô ... je me sentais si proche … c'est là que j'aurais dû le toucher
Même si toucher n'est pas rencontrer … oui! ce jour là j'aurais dû
Et bien que par la suite … je n'eus plus jamais de cesse
Que de le suivre … et de le poursuivre en toutes occasions
C'est bien ce jour là … qu'il m'arriva de l'approcher de si près
Si bien que jusqu'à Madiana! … je ne le lâcherais plus ... jamais »
Albert Noos avait tellement sommeil ... qu'il était prêt à croire à n'importe quoi
Heureux ceux qui croient sans avoir vu … après tout il n'était là que pour noter
- « Oui … même si toucher n'est pas jouer … ce jour là … j'aurais dû! »
Ce jour là ... il m'avait fallu à peine plus de quarante cinq minutes
Pour rejoindre l'endroit que déjà ... j'avais baptisé "le Sanktu'Air"
En raison de la Présence ... de la lumière ... et du velouté de l'air
Et dont jusque là ... je vous l'ai dit… j'ignorais absolument tout
La curiosité avait fini par reléguer la peur ... dans ses bas quartiers
Croyez- moi Albert ... la curiosité est la force moteur de l'humanité
Et la mienne ... ne fut vraiment pas déçue ... par le fascinant tableau
Qui venait soudain ... de mettre un terme abrupt à ma course de côte
Me laissant sous la frondaison basse ... en prise avec une folle réalité
Un être au teint bistre ... et au profil incertain ... avançait benoîtement
Autour d'un buisson de cade ... qu'encadrait une lice de chênes blancs
Vêtu de teintes salies ... couvert d'un vieux bob gris
M° tournait ... sans autre contrainte ... que de laisser aller
Il tournait ... sur le déambulatoire de terre battue ... il marchait
Le regard porté droit devant lui ... les deux bras affairés dans son dos
Autour d'un lien ... qui vu d'ici m'avait tout l'air d'un chapelet ... hors d'âge
Duquel sa silhouette et sa foulée ... semblaient tirer quelques allures de victoire
Une victoire profonde ... une victoire reçue en partage ... une victoire héritée
Fille légitime de sa constance ... un pied derrière l'autre il avançait en rond
Il maîtrisait son chemin ... il tournait en silence ... et son chemin le tenait
Comme le père ... silencieux et miséricordieux ... la main de son gamin
"A-C" ... n'avait jamais eu à connaître ... ni le son ... ni la voix de M°
Ni un mot ... ni la moindre parole ... qui eut pu sortir de sa bouche
Cependant ... il restait convaincu que M° ... qui tournait en rond
En suivant scrupuleusement ... la géométrie du déambulatoire
Tracée au sol ... à l'avant du cloître de verdure qui encadrait
Un vieux buisson de cade ... grêlé de pampilles vermillon
Et autour duquel s'enroulait ... sa procession monotone
Avait dû ... chemin faisant ... redire et répéter encore
Aux arbres ... et aux oiseaux ... la formule suivante
Une formule dont " À-C " a fait depuis ... et avec bonheur
Parmi bien d'autres encore ... l'une de ses citations chéries
- « Le chemin qu'aujourd'hui
Je vais poursuivant
N'est pas seulement
Celui que je suis
C'est aussi celui
Qui m'emmène »
Et voilà ... quinze ou vingt minutes ... déjà
Que " A-C " ... éberlué ... autant que fasciné
Suivait ... de son poste de guetteur clandestin
D'un œil attentif ... et quelque peu bienveillant
Malgré le spectacle sidérant ... et plutôt insolite
Que représentait ... ce quinquagénaire ... esseulé
Cheminant d'un pas égal ... en un curieux manège
Posté au milieu de nulle part ... dans un décor rêvé
Choisi et construit ... à force de liberté et de fidélité
Investies ... dans le plus secret des paradis terrestres
Et cultivées ... dans le plus distant ... et le plus désert
Des milieux ... qui se puissent encore dénicher par ici
Invisible ... à part ... à l'écart de toute présence humaine
Immergé et comme confondu ... au cœur de l'inaccessible
Invisible comme le vert Sanktu'air ... niché dans les chênes
De la corniche de sable roux ... qui domine le maigre Ravon
M° enchaînait en silence ... quelques figures métamorphiques
Invisible ... coupé du monde ... et de sa toute vaine agitation
M° ... le visage terreux ... mais irradié ... par une aura solaire
Semblait si absorbé ... par l'exécution de sa morne procession
Et si investi dans les curieuses figures ... les drôles de postures
Exigées par la mécanique hermétique ... de sa petite cérémonie
Que de là où je l'espionnais ... je me sentais aussitôt en sécurité
Et vivais la scène ... comme celle d'un film muet ... et burlesque
Une cérémonie rituelle ... réglée comme celle d'un automate
Un spectacle écrit et joué ... comme sur du papier à musique
Un scénario simple ... une mise en scène sobre mais efficace
Un interprète incomparable ... pour une performance inédite
Tout cela avait fait de moi ... le plus enthousiaste des publics
Et de mon poste de verdure ... le plus attentif des spectateurs
Et à l'occasion ... le plus épris ... et le plus captif des voyeurs
Stupéfait par les efforts de concentration ... mis en jeu par son rituel
Et par les performances surréalistes ... de ce Buster Keaton aphone
Je jubilais pleinement maintenant ... d'avoir à goûter un spectacle
Dont j'étais ... avec le ciel et les oiseaux ... le seul témoin direct
Le seul public ... l'unique regard posé sur cette libre séquence
Sidéré par l'incongruité et le côté déjanté de cette apparition
Fasciné par l'extravagance d'une situation qui me tenait en arrêt ... piégé
Je ne voyais dans sa prestation ... rien de mondain ... ni rien qui fut culturel
Mais plutôt quelque manifestation d'ordre magique... quelque pratique occulte
Quelque folie ordinaire ... en liberté ... ou quelque incantation mystico-spirituelle
Quelque sorcellerie ... dont j'ignorais tout ... mais dont je me savais déjà faire l'objet
Quelque entraînement martial ... quelque danse sacrée ... ou quelque figure d'adoration
Dont je me trouvais être à mon insu ... le seul témoin ... l'invité spécial ... l'unique public
Dans le cadre saisissant ... mi-désert d'Égypte ... mi-monastère d'orient
Que les pratiques rituelles de M° ... avaient fini par tracer dans le sol
Par façonner ... et par modeler dans la matière végétale ... vivante
Je vibrais ... en position "pleins phares" ... incapable de zapper
Incapable du moindre geste ... qui eut pu trahir ma présence
Ou risqué l'implosion d'un moment si précieux ... si doux
Uu instant fou ... que lui-même n'eut jamais su susciter
Il faisait frais ... et la lumière régnait sur le cloître de verdure ... je jubilais du spectacle offert
J'exultais de le voir à l'arrêt ... figé comme un marbre antique ... ou marchant d'un pas égal
Puis enchaînant divers postures étranges ... ou autres figures de gymnaste du dimanche
Mi-ombre ... mi-soleil ... mon plaisir était comble ... M° opérait comme s'il était seul
Parfois même ... j'eus dû pouffer de rire à la vue de son numéro ... limite comique
Si je n'eusse craint ... non pas d'être découvert ... mais d'interrompre ce manège
Qui en dépit de certains côtés cocasses ... faisait montre d'une certaine grâce
Et diffusait à l'envie ... une paix limpide qui me laissait un goût d'Éternité
À l'instar du vif mistral ... présent lors de ma précédente visite sur les lieux du "Sanktu'air"
Le mauvais vent d'ouest qui depuis la veille annonçait la pluie ... et ronflait si violemment
Semblait n'avoir aucune prise sur le cours de la cérémonie ... et épargnait le temple vivant
Seules quelques trilles d'oiseaux enhardis et complices ... ponctuaient la pantomime de M°
Là où le silence soulignait ... la paisible courbure qui caractérisait cet incroyable spectacle
Absorbé ... plongé dans l'exercice de son étonnant numéro ... immergé complètement
Dans l'exécution de ce qui pour moi avait l'apparence ... d'une chorégraphie rituelle
Prisonnier de ce déambulatoire ... que la succession de ses passages sans nombre
Avait fini par tracer à terre dans le tapis de feuilles ... d'humus et de sable roux
Un maigre boyau sanguin ... qui scarifiait à peine ... la truffière bi-centenaire
M° s'était arrêté soudain ... sans rien brusquer mais d'une manière décisive
Il venait de caler sa canne ... la coincer dans le V d'une branche refendue
Prévue à cet effet ... et qui la maintenait verticale dans le mort du cade
Libéré de sa canne il s'avançait avec plus de légèreté ... et plus altier peut-être!
J'aurais pu le toucher ... de mon poste je percevais ses rondes et ses agissements
Comme autant de saynètes irréelles ... tournées en extérieur ... en haute définition
Dans le cadre d'un documentaire ... à propos du monachisme ... ou du chamanisme
Par une équipe de production de courts-métrages subventionnés par la région PACA
Certes ... j'ignorais tout du scénario ... mais pour rien au monde je n'eus quitté ma place
Trop heureux de pouvoir suivre de loin ... le cours de cette histoire que je n'attendais pas
Mais qui cependant ... courrait sans queue ni tête ... devant mes yeux rougis d'incrédulité
Pour rien au monde je n'aurais lâché cette séquence ... que je pensais unique en son genre
Solitaire ... séparé du monde ... un individu marche
Dans un espace qu'il a réalisé ... et façonné à cet effet
Quelqu'un à l'aspect ordinaire... seul dans la broussaille
Déambule à distance ... en cette clairière éloignée de tout
Et pourtant ... à force de girations ... autour de ses buissons
Et de gesticulations répétées ... il avait réussi à me harponner
Au point qu'à présent .... il m'était impossible de me soustraire
Au puissant pouvoir de fascination ... exercé par cette apparition
Qui au demeurant ... en dépit d'une impérieuse envie de déguerpir
Qui me bousculait les intestins ... parvenait à me tenir ... en respect
Moitié égaré de l'asile ... moitié ermite contemplatif
Moitié chaman danseur ... moitié derviche marcheur
Moitié tout cela à la fois ... moitié là ... moitié pas là
Seul au monde ... le singleton ... unique en son genre
Attaché à lui-même ... comme à une planche de salut
Plongé ... dans l'exercice de ses étranges pantomimes
Absorbé ... dans l'exécution de ses figures burlesques
Un solitaire excentrique perdu au milieu de nulle part
Qu'il m'était devenu impossible ... de lâcher du regard
Et que je ne quittais pas ... de peur de le voir s'envoler
Mi-contemplatif ... mi-gymnaste ... mi-déserteur fou
Mi-adorateur ... mi-ange ... mi-autiste ... mi-allumé
Mi-artiste " new âge " ... mi-fuyard ... mi-planqué
Mi-sorcier ...mi-sage ... mi-comédien qui répète
Mi-Robinson des bois ... mi-libre de s'y exiler
Mi-Pape des agasses ... mi-pénitent au secret
Mi-moine devin ... mi-voyageur clandestin
Mi-fantôme ... mi-prophète ... mi-légende
Mi-clochard ... mi-monstre ... mi-prêtre
Mi-ombre ... mi-soleil ... demi-réalité
Mais total mystère ... mystère entier
L'image de M° ... ne proposait rien d'entier
Elle ne présentait rien qui puisse faire unité
Elle n'était pas constituée ... d'un seul tenant
Et il n'y avait rien en lui ... qui fut homogène
Rien qui évoqua la stabilité ou la permanence
Il avait l'air perméable ... comme un napperon
Je le percevais comme un sac ... plein de trous
Comme un trou ... rempli de trous ... à raz bord
Il émanait de lui ... quelque chose d'ambigu
Autour de lui ... quelque chose d'impossible
Quelque chose ... de pas totalement terminé
Quelque chose d'insondable ... et de lointain
Certainement innocent et apparemment inoffensif
M° semblait sourire aux anges ... et réciproquement
Tandis que me venaient des fourmis ... dans les mollets
Je changeais d'appui ... sans le quitter un instant des yeux
Tellement fasciné ... encore ... par son incroyable apparition
Il était là tout seul ... au beau milieu de nulle part ... tout seul!
La scène était si décalée ... si loin de l'ordinaire quotidien
Il paraissait si seul ... qu'il semblait être le dernier du genre
M° était tellement surprenant ... il était l'inimaginable image
Si loin de tout ... si décalé qu'on l'eut cru ... déjà parti ailleurs
Seul au monde et hors le monde ... tout seul et en pleine nature
De même ... que je n'étais pas véritablement présent sur les lieux du cirque
De même ... que je n'existais pas complètement ... et n'y étais pas tellement
À l'abri ... derrière le maigre bosquet de genièvre qui me servait de planque
De même ... M° était dans le décor et n'y était pas ... il était là ... sans y être
Tout cela me semblait tellement irréel ... je n'étais plus sûr de ne pas délirer
J'avais l'impression d'assister au tournage d'une scène de film ... fantastique
Mes yeux de gosse éberlués ne lâchaient plus M° ... le personnage principal
Cette espèce de Robinson des cimes ... qui déambulait et faisait son numéro
Au fond du fond du bois ... en solo avec le silence ... et le chant des oiseaux
Je ne le quittais plus des yeux ... la paix soudaine ... sa paix m'en empêchait
Malgré un ciel qui commençait de se couvrir ... et l'air de se faire moite
Son allure était de plus en plus solennelle ... et son allant tout en grâces
Multipliait les postures yogi ... puis repartait sur des rythmes derviches
Il déambulait de pus belle ... s'arrêtait ... puis repartait un peu plus lent
Propulsé par les esprits du Sancktu'air ... M° glissait comme un hovercraft
Dans cette truffière séculaire ... qui lui offrait le plus BIO des lieux de culte
Il flottait dans un volume de lumière ... ouvert dans la chair des petits chênes
Où il semblait être le jouet d'un scénario ... délibérément et librement assumé
Celui d'un spectacle ... présenté hors le monde ... et avec moi-seul pour témoin
M° s'était soudain arrêté de tourner ... certainement parce qu'il en avait décidé ainsi
Puis il s'était soigneusement assis sur une pierre plate et polie ... orientée au levant
Après avoir exécuté quelques gesticulations ...plus insolite les unes que les autres
Il avait fermé les yeux ... comme s'il se trouvait vraiment tout seul en sa chapelle
Tout seul en toute confiance ... immobile maintenant ... inaccessible ... invisible
Les facéties du vent d'ouest sur les frondaisons ... avaient cessé depuis peu
Quelques oiseaux finissaient de discourir ... dans la lumière qui s'estompait
Quand il m'arriva soudain ... de sentir la paix ... de sentir la Paix ... sa Paix!
La paix magnifique de M° ... venait soudain d'envahir tout l'espace sensible
Me rappelant que j'étais moi-même ... l'un des éléments du monde sensible
Je me trouvais prisonnier de ma découverte ... plein de cette Paix soudaine
J'étais incapable de remuer le petit doigt ... et puis n'en avais aucune envie
J'étais ravi ... j'étais aux anges ... la région tout autour existait dans la paix ...
La morne voix d'" À-C " continue de s'enfoncer ... loin dans de la nuit
Elle s'insinue dans le frais du petit matin ... à l'heure où faiblit l'orange
Albert Noos entend ce chapitre là ... pour la douzième fois ... au bas mot!
Combien de temps déjà ... à subir ... et à consigner toutes les pitreries?
À entendre répéter comme cela ... par le menu détail ... chaque nuit
Chacun des moindres petits détails … composant le rituel de M°
Noos à déjà entendu cette histoire de première fois ... dix fois au moins
Cette fois là ... la première fois où "A-C" est remonté jusqu'au plateau
Cette fois ... où il découvrit le lieu inattendu qu'il nommait Sanktu'air
Cette fois ... où il fit la connaissance de celui que vous appelez ... M°
Noos connaît tellement cette histoire là maintenant ... il peut réciter
C'est l'histoire d'un pauvre type ... qui à l'aube d'un monde nouveau
Est sans aucun doute possible ... le tout dernier des pauvres types ...
Mais Noos est bien trop fatigué ... il aura bientôt fermé les yeux
La lumière orange dort déjà ... par dessous ses lourdes paupières
Bien trop fatigué pour reprendre ... les éléments de cette fable là
- « Monsieur Noos! arrêtez un peu de nous bercer ... avec vos bêtises
N'essayez pas de nous enfumer ... l'enquête doit avancer vous savez
Noos ne faites pas dans la romance ... ne tentez pas de nous endormir
N'essayez pas de nous promener ... l'enquête n'a pas de temps à perdre
À Madiana ce soir-là déjà ... vous saviez pertinemment que nous savions
Vous aviez votre matériel avec vous ... nous savions que vous pistiez M°
Et vous le pistiez depuis un moment déjà ... parmi la meute ... ce soir-là
Vous n'étiez pas le seul à attendre patiemment l'arrivée du vol AF-8652
On envoie pas un grand reporter à Madiana ... pour visiter l'aéroport ?! »
À leur dernière question ... Chrêbb & Nïtza attendent une vraie réponse
Ils ne comptent pas passer la matinée entière... autour des prolégomènes
Car s'ils font un tant soit peu progresser l'affaire ... ils prendront du galon
Vu qu'aujourd'hui ... la politique du résultat sévit dans tous les corps d'état
Les deux gaillards aux regards bas ... qui de si bonne heure ce matin
Ne sont là que pour s'occuper de moi ... en veulent pour leurs grades
Ils sont bien gentils ... mais n'ont certainement pas de temps à perdre
Sans être brutales ... mes nouveaux interlocuteurs me la jouent dure ce matin
Grands et forts ... ils font bloc ... ma faiblesse m'écœure ... j'ai mal au crâne
Schrêbb est terriblement balafré ... il a une joue enfoncée et l'arcade biaise
Malgré cela c'est à lui que je préférerais répondre ... car Nïtza me terrifie
Nïtza ne parle pas ... il compulse des feuilles volantes pleines de signes
Et de mes deux cerbères ... c'est lui assurément ... le plus dur des deux
Lui qui déjà me retourne de volée ... l'écho de leur dernière question
- « Que faisiez vous à Madiana? ... que faisiez vous à Madiana ... ce soir là?
À Madiana ce soir-là déjà ... vous saviez pertinemment que nous savions
Vous aviez votre matériel avec vous ... nous savions que vous pistiez M°
Et vous le pistiez depuis un moment déjà ... parmi la meute ... ce soir-là
Vous n'étiez pas le seul à attendre patiemment l'arrivée du vol AF-8652
On envoie pas un grand reporter à Madiana ... pour visiter l'aérogare ?!
Et on ne trimbale pas ce type de matériel ... pour tirer les champignons
Avouez que votre présence sur place ... était liée à la disparition de M° »
Sans être ni violents ... ni blessant ... mes deux inquisiteurs de ce matin
S'échinent à me mettre un peu sous pression ... en vain ... je fais défaut
Cette enquête ressemble à la vie ordinaire ... parfois il ne s'y passe rien
Et je m'entends répéter pour la énième fois ... non ... non ... non ... non
Non! ... je vous l'ai déjà dit cent fois déjà ... j'ignorais tout de votre M°
Oui! j'étais bien à l'aérogare de Madiana ... mais pour tout autre chose
Oui j'attendais bien quelqu'un ce soir là ... mais ce n'était pas votre M°
Chrêbb & Nïtza attendent une vraie réponse ... je n'ai plus rien à ajouter
Je sens qu'ils essayeraient bien autrement ... j'attends la fin de la séance
La lumière orange m'assomme et ils me serinent ... oh! vivement midi